Le nu est la tenue la plus ténue pour amener les sens au ciel
Un corps nu se relie, quels que soient le lieu et l’époque, à ceux de ses frères humains sans distinction d’importance ou de condition.
Sur le papier comment distinguer une Grecque de la creuse Lacédémone d’un noble Florentin ou d’une bourgeoise de la Sécession Viennoise ? (Voir suite de l'article avec le Nu provencal de Willy Ronis)
C’est une éclatante évidence que celle de mettre un corps à nu. On vise l’objet dépouillé des artifices et on révèle le sujet.
Lorsque je dessine, c’est avec une facilité étrange et saisissante que le pinceau donne une identité à un ensemble organisé de muscles, d’os, de tendons et de tripes.
Il n’y a pas d’émoi entre un modèle et moi. Pourtant un lien doit se créer entre les deux, sous peine que le dessin, si un sujet n’apparaît pas, ne laissant que le corps d’une belle, finisse à la corbeille.
Du modèle nu, la vérité surgit aussi clairement que les sommets des montagnes lors du reflux des eaux du Déluge. De même que la terre à ce moment se retrouve purifiée par l’absence d’humanité, de même le corps nu est pur avant que se vétir des oripeaux de la civilisation. Dès lors les vêtements servent plus à travestir la vérité qu’à protéger le corps. Ces attributs et accessoires ont pour unique but de mentir à son prochain en se faisant passer pour un autre que l’on est pas.
La vie entière est une affreuse mystification bornée de deux brefs instants de sincérité.
Le premier est la stupeur qui nous saisit au moment où nous apparaissons dans ce monde dans le plus simple appareil. De cet effroi insupportable naîtra le vêtement pour nous aider à affronter cette identité non désirée et détestée.
Le second est celui de la terreur qui submerge notre corps vieilli et accablé par les mensonges à l’instant de notre mort.
Dans cet intervalle notre vie n’aura été qu’une suite de mensonges, de faux-semblants à l’aide de vêtements, de maquillage des sentiments avec leurs couronnements : vols, viols, meurtres et guerres.
Illustration de la permanence du corps au travers des siècles :
Nu provencal, Gordes, 1949
Willy Ronis (1910-2009)
Pendant l'été torride de 1949, dans une maison en ruines, à Gordes. Ronis a décrit précisément ce qui s'est passé (et il s'agit bien d'un roman rapide) :
Je bricole au grenier et il me manque une certaine truelle restée au rez-de-chaussée. Je descends l'escalier de pierre qui traverse notre chambre au premier.
Sortie de sa sieste, Marie-Anne s'ébroue dans la cuvette (on va chercher l'eau à la fontaine). Je crie: « Reste comme tu es ! » Mon Rolleiflex est sur une chaise, tout près.
Je remonte trois marches et fais quatre prises, les mains tachées de plâtre. C'est la deuxième que j'ai choisie. Le tout n'a pas duré deux minutes.
C'est ma photo fétiche, parue depuis lors sans discontinuer, ici et partout.
Le miracle existe. Je l'ai rencontré.1
Au sujet de cette photo, où l'on pourrait voir aussi bien une plébéienne romaine qu'une paysanne de la Renaissance, Philippe Sollers, dans l'ouvrage Nues dit:
La composition est magistrale, elle dit la vraie joie de vivre dont notre époque est si tragiquement et piteusement dépourvue. Le miroir, la cuvette, le petit tapis, les craquelures du sol, voilà des cercles qui ne demandaient qu'à dialoguer. La fenêtre ouverte, le volet, le mortier, le pichet, la chaise se répondent dans la verticale (cette photo aurait ravi Cézanne). Tout vit, tout vibre doucement et veut être vu. Le corps nu est la résultante de cette magie matérielle. La lumière est là pour dire l'harmonie indestructible de l'ensemble (soleil sur les épaules, bénédiction du temps). On est tellement loin de l'imagerie exhibitionniste et grimaçante d'aujourd'hui qu'on se demande si ce conte de fées a pu exister.
Ronis parle de miracle. Il a raison, c'en est un que seul celui qui en a vécu un semblable peut comprendre".2
(1 & 2) Extraits de Nues, avec Philippe Sollers, Éditions Terre Bleue, Paris, 2008