Premières photographies de New York

Extrait 3

Non loin de chez Vivian, dans un appartement tout en enfilade, vit une famille de trois sœurs. Sophie Randazzo, l'aînée, rencontre Vivian dans le quartier un jour de 1951. Elles deviennent très vite amies, mais selon les modalités de Vivian : c'est elle qui passe leur rendre visite et toujours à l'improviste. La plus jeune des sœurs, Anna Randazzo, aujourd'hui âgée de plus de quatre-vingts ans et qui vit dans le Queens, est la seule personne ayant vécu à New York en même temps que Vivian que l'on ait pu retrouver. Soixante ans plus tard, Anna a su fournir une description détaillée de sa vieille amie, se souvenant qu'elle était masculine et froide, bien charpentée et très assurée, qu'elle portait des chaussures d'homme à talons plats et n'arborait ni bijou, ni maquillage. Sa tenue habituelle consistait en un "tailleur en tweed marron très comme il faut", dont Vivian "tirait la jupe pour être certaine que ses genoux soient couverts". L'été, ses robes de coton légères étaient plus flatteuses, mais elle portait presque toujours un chapeau, même à l'intérieur.

Anna n'a jamais su son nom de famille.

Elle se souvient que sa mère a voulu accueillir Vivian en la serrant dans ses bras, mais celle-ci s'est écartée, répliquant sèchement : "Nous n'embrassons pas", avant de lui tendre la main. La famille a été marquée par son usage du "nous" de majesté et par son dégoût du contact physique. Certes, Vivian était bavarde, elle aimait passer du temps à échanger des cancans avec les filles, mais elle révélait peu de choses de son passé, laissant simplement entendre qu'elle était née en France et se trouvait seule au monde. A en croire Anna, "elle était un peu étrange, mais agréable et polie - à moins que l'on sorte une chose à ne pas dire, auquel cas elle vous sautait directement à la gorge".

Ann Marks, Vivian Maier révélée - Enquête sur une femme libre, Delpire &Co, 2021, page 82

Le site officiel de Vivian Maier